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Côte d’Ivoire: un roman pour ne pas oublier les effets des catastrophes écologiques – Invité Afrique

todaynovembre 28, 2022

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Comment panser les plaies après un drame écologique de grande ampleur ? Le dernier roman de la philosophe ivoirienne Tanella Boni, « Sans parole ni poignée de main », nous replonge dans le scandale du déversement de quelques 540.000 litres de déchets toxiques autour d’Abidjan en août 2006. Tanela Boni décrit les conséquences sanitaires (maladies graves, problèmes respiratoires…) tout en brossant le portrait d’une société marquée par de nombreux problèmes. Tanella Boni est notre invitée.   

RFI : La catastrophe écologique liée au déversement de déchets toxiques a eu lieu en 2006 et là, nous sommes en 2022, qu’est-ce qui vous, vous a poussé à revenir sur ce thème-là dans votre roman ?

Tanella Boni : J’estime que c’est une catastrophe qui a ébranlé beaucoup, beaucoup de gens, beaucoup de familles. J’ai voulu écrire un roman à partir de cette catastrophe pour éviter qu’on oublie encore une fois. Il faut en parler, pour que justement il puisse y avoir une… on parle de réconciliation mais surtout politique, mais il faut pouvoir se réconcilier avec soi-même.

Dans votre livre, vous décrivez Abidjan comme une ville cosmopolite, vivante, qu’est-ce qui a changé, à vos yeux, suite à l’arrivée de ce que vous décrivez comme étant « le bateau bleu » ?

Disons qu’au moment où le bateau bleu arrive, la Côte d’Ivoire était déjà ébranlée par beaucoup de choses, beaucoup de coups de feu, des familles séparées pour des raisons politiques, entre autres, le Nord coupé du Sud, parce qu’il y avait déjà eu la rébellion. Donc le pays n’était pas vraiment en paix à ce moment-là. Et, à une catastrophe politique et militaire, s’est ajoutée une catastrophe écologique ; je dirais un traumatisme de plus, donc, en fait, ce qui a changé, c’est ça. Ce roman, c’est pour dire : attention, on n’est pas si bien que ça.

Dans votre roman, vous décrivez concrètement les nuisances causées par ce déversement ; vous parlez de cette odeur nauséabonde qui touche Abidjan, vous parlez aussi des conséquences sanitaires sur la santé de vos personnages. Est-ce qu’aujourd’hui, ces conséquences-là sont toujours palpables ?

Le problème, c’est ça ! On a l’impression que tout a disparu, mais la question est de savoir si réellement tout a disparu. Et il faudrait que les scientifiques nous aident aussi sur cette question-là. Mais j’ai l’impression que c’est ce qui ne se fait pas. En fait, c’est une inquiétude aussi que j’exprime dans ce roman. Faisons attention : nous parlons de réconciliation, mais pour nous réconcilier réellement, est-ce qu’on a passé en revue tout ce qui justement nous bloque sur ce chemin de la réconciliation ? Ça ne doit pas seulement être des paroles. On doit être bien, moi je dirais, dans notre peau et dans notre tête. La question précise, en fait, que je pose : est-ce que les Ivoiriens sont si entiers que cela ? Est-ce qu’ils ne sont pas découpés en morceaux ? Est-ce qu’ils ne sont pas en miette, en train de colmater des trous un peu partout avec des discours ? Allons donc au fond des choses.

On sent donc une forte amertume, une sorte même de lassitude dans votre roman. Vous dites d’ailleurs que le bonheur de vivre ensemble a disparu. Quels sont les signaux, pour vous, qui sont évocateurs de ce problème-là ?

Est-ce que les familles sont si heureuses que ça ? Dans le roman, il y a des passages, d’ailleurs de beaucoup de pages, en italique : c’est aussi pour exprimer cela. Et quelque part, je dis que pour être heureux, il faut d’abord que les individus se réconcilient entre eux. Ce n’est pas une histoire de politique d’abord, c’est une question de pouvoir parler à son voisin, raconter des histoires, je dirais comme avant 1999. Vous savez bien que quand on essaie de voir la question du point de vue historique, il y a eu un moment où il y a eu comme une cassure. La première cassure, dans ce pays, je veux dire après les indépendances, la première cassure il me semble que c’est 1999, parce qu’à Noël 1999, quelque chose nous est arrivé, et cette chose-là on ne s’y attendait pas.

Et puis trois ans après, boum ! Autre chose nous arrive, le pays séparé en deux, avec une frontière interne. Est-ce qu’on a mesuré toutes ces conséquences-là ? Vous voyez, c’est à tous les niveaux : entre les individus, entre les groupes, entre les partis politiques, entre les religions. Pour moi, c’est ça, on se réconcilie à tous les niveaux, et il me semble que c’est peut-être cela qui ne s’est pas encore fait.

Pour en revenir au drame écologique qui s’est produit, est-ce qu’on en a tiré les leçons quatorze ans plus tard ?

J’ai l’impression que non. Regardons autour de nous : dans tous les quartiers d’Abidjan, y compris les quartiers qui seraient très très propres, le plastique est partout. Tous ces déchets-là, ce sont les déchets ménagers. Je ne suis pas en train de parler ici de déchets toxiques, je parle de ce que nous-mêmes nous produisons, et j’ai l’impression qu’à ce niveau-là, nous ne sommes pas encore assez sensibilisés. J’ai l’impression que la conscience des gestes écologiques n’est pas encore tout à fait une réalité en Côte d’Ivoire. Je crois qu’il nous manque réellement à tous et à toutes cette conscience écologique et je crois que c’est l’affaire de chacun et de chacune, pas seulement l’affaire d’un gouvernement.

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