C’est la nouvelle destination qui s’impose sur la carte touristique du Bassin méditerranéen : avec ses 450 kilomètres de côte sur l’Adriatique, ses plages souvent encore vierges et ses montagnes, sans oublier ses prestigieux sites archéologiques et des prix qui restent abordables, l’Albanie a attiré 7,5 millions de touristes étrangers en 2022, une performance que le pays, qui multiplie les opérations de promotion, entend bien dépasser cette année…
Certes, l’Albanie n’est pas épargnée par les températures extrêmes ni par les incendies qui l’ont atteint après avoir ravagé la Grèce voisine, mais la saison s’annonce très bonne, avec des capacités d’hébergement remplies à 100%. Toutefois, le premier problème qui se pose au développement du tourisme est celui du manque de main d’œuvre.
Alors que le tourisme pesait officiellement 18% du PIB en 2022, les entrepreneurs du secteur sont unanimes à se lamenter : ils ne peuvent pas retenir leurs barmen, leurs serveurs ni leurs cuisiniers. De fait, le salaire fixe d’un serveur ne dépasse guère 400 euros par mois, y compris dans les destinations les plus courues, comme les plages de Dhërmi. Même en ajoutant les pourboires, ce n’est pas assez pour retenir des jeunes qui rêvent tous de s’en aller à l’étranger. Chaque année, l’Albanie verrait partir 2% de sa population, principalement des jeunes, diplômés ou non, mais tous en âge de travailler. Principales destinations : l’Italie voisine, bien sûr, mais aussi l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne qui fait toujours figure d’Eldorado pour les Albanais, mais aussi des destinations plus lointaines, en Amérique du Nord ou en Asie.
« Les jeunes pensent que le monde entier les attend », déplore un restaurateur de Durrës, le grand port proche de Tirana. Celui-ci estime cependant « impossible » d’augmenter les rémunérations de son personnel. « Tout a déjà grimpé, l’énergie, les taxes… La seule chose qui n’ait pas augmenté, c’est le pouvoir d’achat de mes clients qui viennent principalement du Kosovo : je ne peux pas gonfler mes prix. »
Le recours à une main d’œuvre asiatique
La Croatie, où la vague touristique ne cesse d’enfler depuis 2000, se plaint du même problème. Le pays cumule une très faible natalité avec une vague d’exode qui fait planer la menace d’une véritable désertification de zones entières du pays, notamment dans le centre et le nord-est. Le pays comptait 4,7 millions d’habitants en 1991, 4,3 millions en 2011, 3,8 millions en 2021 et les projections de l’ONU envisagent un maximum de 3,2 millions en 2050. Longtemps, les jeunes des régions les plus déshéritées venaient grossir les rangs des saisonniers sur la côte, mais les faibles salaires, les dures conditions de travail, du reste pas toujours déclaré, les ont découragés : ils préfèrent tenter directement leur chance à l’étranger, surtout en Allemagne, qui manque elle-même de main d’œuvre dans presque tous les secteurs d’activité et se montre très accueillante envers les Croates, qualifiés ou non.
Longtemps, la Croatie a essayé de s’en sortir grâce à un véritable jeu de « chaises musicales » à l’intérieur de l’ancienne Yougoslavie : des saisonniers de Bosnie-Herzégovine, de Serbie ou du Monténégro affluaient en Croatie, tandis que la côte monténégrine attirait elle-même des travailleurs de Bosnie, de Serbie ou du Kosovo, mais aussi d’Albanie… Depuis l’ouverture en mai dernier d’une liaison aérienne directe entre Split, sur la côte dalmate, et Skopje, la capitale de la Macédoine du Nord, les ressortissants de ce pays sont nombreux à venir travailler en Croatie, y compris des fonctionnaires d’État qui se font porter pâles le temps de la saison touristique. Las, ces échanges ne suffisent plus et depuis plusieurs années, les hôteliers et les restaurateurs doivent faire venir de la main d’œuvre asiatique. Dès 2019, le Monténégro a fait appel à des Philippins, dans le cadre d’un accord avec la Philippine Association of Service Exporters (PASEI) : celle-ci rémunère les travailleurs exportés dont elle facture les services aux entreprises locales.
Ce recours à la main d’œuvre asiatique s’est généralisé en Croatie, surtout depuis la reprise du tourisme en 2021, après la pandémie. Selon les chiffres de la Chambre de commerce croate, plus de 27000 travailleurs venus d’Asie seraient arrivés en renfort pour la saison, principalement du Népal, d’Inde, mais aussi du Bangladesh ou des Philippines. Le recrutement passe par des agences spécialisées, qui promettent des salaires mensuels de l’ordre de 900 à 1000 euros par mois. À titre de comparaison, les rémunérations sont souvent inférieures sur les navires de croisière – un secteur également très demandeur de main d’œuvre asiatique, mais qui garantit le gîte et le couvert, tandis que la question cruciale est celle de l’hébergement.
Des conditions d’hébergement souvent indignes
Dario tient un restaurant de poisson près de la pointe de Savudrija, au nord-ouest de l’Istrie, région réputée pour sa gastronomie, proche de l’Italie et de l’Autriche. Depuis plusieurs années déjà, il embauche « quatre ou cinq » saisonniers étrangers, en salle et en cuisine, mis à disposition par la Chambre de commerce. Logés sur place, avec un jour de repos par semaine, les employés se disent « satisfaits » dans un croate balbutiant. Ce n’est pas toujours le cas.
Députée de la ville portuaire de Rijeka et porte-parole du Front ouvrier (RF, gauche radicale), Katarina Peović dénonce des conditions d’hébergement souvent indignes : « J’ai visité une maison où vivaient des Népalais, ils dormaient par terre, avec des conditions d’hygiène catastrophique… » Katarina Peović cite encore le cas de Népalais qui travaillaient sur les chantiers de construction la matinée, et en restauration en soirée. Le RF a déposé des amendements parlementaires sur les conditions d’hébergement, mais surtout sur le rétablissement de quotas de saisonniers étrangers. Une Union des travailleurs népalais en Croatie vient d’être formé. Son président, Surya Bahdur Thing, expliquait à Radio Free Europe que les salaires touchés par ses compatriotes dépassaient rarement 700 à 800 euros, nettement en dessous des moyennes croates – 942 euros par mois dans la construction, et à peu près autant dans le tourisme.
« Il y a deux catégories de travailleurs étrangers », explique Tomislav Kiš, du Nouveau syndicat. « Ceux qui sont venus par des agences pour travailler dans le tourisme ont des contrats et sont connus de la Chambre de commerce, mais d’autres travaillent pour des plateformes d’intérim, comme Wolt ou Bolt. Ils n’ont aucun droit et cumulent souvent plusieurs emplois. » En 2021, la Croatie a levé les quotas pour les secteurs en tension, principalement le tourisme et la construction, où les visas de travail sont accordés en fonction des demandes des employeurs, mais le système permet de nombreux abus, d’autant que des travailleurs asiatiques qui obtiennent un visa pour la Croatie ne reste pas dans ce pays : beaucoup se dirigeaient dans un second temps vers le Portugal.
Au 30 juin, 91 000 permis de travail temporaires avaient été accordés. En 2022, le total était monté à 125 000 et ce chiffre a de bonnes chances d’être dépassé d’ici à la fin de la saison. Avec un secteur touristique en surchauffe dans un pays qui n’en finit pas de se vider de sa population, « l’esclavage moderne » dénoncé par Katarina Peović a encore de beaux jours devant lui.
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