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En Lettonie, le réchauffement climatique, favorable pour les vins, engendre aussi des dégâts

todayjuillet 9, 2023 1

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Le domaine viticole Abavas, en Lettonie. Lire la suite

De notre envoyée spéciale en Lettonie,

La rame bondée de monde quitte Riga, la capitale, longe le littoral de la mer Baltique, s’enfonce dans l’arrière-pays, puis s’arrête dans une petite gare de campagne du XIXe siècle en brique rouge : Tukums 1. Au parking, un jeune homme patiente. Blond, élancé, le regard caché derrière ses lunettes noires, Niklass Barkans, 25 ans, est inquiet.

Depuis trois ans, ce fils de vigneron, sorti diplômé en viticulture et œnologie du prestigieux Plumpton College dans le sud-est de l’Angleterre, travaille avec son père dans le vignoble familial. Le domaine est situé dans la région de Kurzeme (Courlande), tout près du village de Sabile, à 110 kilomètres à l’ouest de la capitale lettone.

Des vignes au-dessus du 57ᵉ parallèle nord

C’est là que nous nous rendons par une route secondaire au bitume impeccable, construite, comme tant d’autres routes lettones, grâce à des fonds européens. Niklass, un Européen convaincu, a voulu étudier au Royaume-Uni. Précisément parce que « ce pays est aux premières loges du réchauffement climatique, et comprend les bénéfices que nous, les pays du Nord, pouvons en tirer », estime-t-il.

Produire du vin au-delà du 57ᵉ parallèle nord ? C’est justement cette idée folle qui a poussé son père, Martins Barkans, à vendre en 2010 ses parts dans l’agence de presse lettonne LETA et à acheter un hectare de terres près de Sabile. Créé à partir de rien avec des pieds de vigne achetés en Allemagne, le domaine compte aujourd’hui quatre hectares, et un hectare supplémentaire vient d’y être planté. Des variétés de raisin hybrides et sauvages exclusivement, résistantes aux maladies et au froid hivernal. Une vigne hybride n’est pas un organisme génétiquement modifié, précise Niklass, mais elle est le fruit d’un processus de croisements entre deux espèces, une vigne cultivée Vitis vinifera et une vigne sauvage. Ces dernières, on les trouve aux États-Unis ou en Asie. Quelques vignes sauvages d’Europe possèdent aussi ce gène de résistance.

Martins Barkans (à dr.) et Niklass Barkans (à g.), père et fils travaillent ensemble sur le domaine.

Les gelées de printemps de plus en plus récurrentes

La voiture arrive au chai. Un grand blond aux yeux bleus sort d’une dégustation pour nous saluer brièvement. Martins, cinquantenaire dynamique, est dans tous ses états. Son vignoble vient de prendre un coup de gelée printanière. Abavas tire son nom des libellules qui survolent la vallée de la rivière Abava, dont la proximité fertile adoucit le climat. Mais cette fois, la petite rivière n’a pas pu résister aux températures qui sont descendues à –22°C, en mars puis en juin, le dernier épisode s’étant produit à peine trois jours avant notre arrivée. Le gel a eu raison d’une partie des vignes. Nous comprenons mieux l’inquiétude de notre jeune hôte. Il revient de courtes vacances et n’a encore rien vu. Certes, l’entreprise pourra lisser ses pertes grâce aux revenus tirés de sa production de cidres et de vins à base de fruits (notamment de rhubarbe ou de pommes, issus des vergers environnants). Mais ce gel est un coup dur pour les vins de raisin. Père et fils partent constater l’ampleur des dégâts.

« Solaris, muscaris, zilga, rondo », le bras de Niklass désigne un à un les rangs de vignes selon les variétés de raisin qui y poussent. Sur une parcelle, le valiant, l’un des premiers cultivars hybrides importés de l’Amérique du Nord et plantés par son père il y a treize ans. Considéré comme le plus rustique et le plus résistant au froid, le voici, ou ce qui en reste : « C’est très triste. Vous voyez ces premiers bourgeons le long des sarments ? Ils n’ont même pas eu le temps de grossir pour s’ouvrir, mais ont été brûlés par le gel. Certains sont noirs, ce qui signifie qu’ils sont déjà morts », soupire notre guide. Son regard se perd dans le vide. Niklass évalue les pertes de raisins entre 70% et 80%.

Les effets dévastateurs de la gelée printanière sur un pied de valiant.

Si le réchauffement climatique pousse les vignobles vers les contrées extrêmes du monde, il génère aussi les aléas météorologiques les plus inattendus. « Le climat nous joue des tours. Depuis quelques années, une tendance se dégage : le climat devient plus chaud, le cycle végétatif de la vigne démarre de plus en plus tôt. Mais, par ailleurs, on observe ces épisodes de gel de plus en plus fréquents. On peut protéger les bourgeons en les aspergeant d’eau ou en allumant des bougies. Mais cela coûte très cher et demande un équipement spécifique. À l’avenir, nous allons probablement enterrer nos vignes pour les protéger du gel en hiver. Il faudra redoubler d’efforts, s’adapter encore et encore », martèle le jeune vigneron.

Les vins venus du nord

Son père arrive à son tour dans les vignes. Martins, le regard noir, contemple le désastre. En 2021, son domaine a produit au total 8 000 bouteilles. Et ce millésime 2023 ? D’un geste de la main, le vigneron balaie notre question. Il présente ses cuvées. « Des vins pas comme les autres », souffle-t-il avec fierté. Comme ce « Solaris 2022 » aux notes de fleurs blanches et à l’acidité prononcée, comme ce rosé mousseux « Zilga » au parfum de fraises des bois ou encore ce « Rondo 2021 Reserve », charnu et souple, qui pourra vieillir si on l’attend. Ils coûtent entre 12,50 euros et 30 euros la bouteille.

 

Une partie des vignes a bien résisté au froid.

 

« Quel est le goût de ces cuvées venues du nord comparé aux vins du sud à base de variétés issues de vitis vinifera ? Qu’est-ce qu’elles ont à offrir de nouveau ? Le consommateur a soif de nouveauté. Or, la viticulture mondiale se satisfait en réalité de quelques variétés dites internationales. La Géorgie, berceau de la viticulture mondiale, a pour cela de quoi surprendre. Pour son nombre impressionnant de cultivars et pour ses méthodes ancestrales de fabrication. Les vins géorgiens sont fermentés et vieillis dans des jarres en terre cuite appelées kvevris. La Lettonie n’a pas de tradition en ce domaine. La question reste ouverte : devrait-elle copier les styles des vins occidentaux, appréciés mais connus, ou écrire une page nouvelle ? Notre pays est situé à la latitude de certaines régions du Canada, du Midwest américain ou de la Suède. La Pologne nous a montré la voie pour ce qui est des cépages hybrides. Je pense que l’on va entendre parler de cette culture nouvelle que sont en train d’écrire les vins du nord », estime ce producteur.

Martins et son fils Niklass ont la forte volonté de prouver que les vins lettons ne sont pas une curiosité locale, mais qu’ils ont un avenir commercial. « Nous savons faire des vins de qualité. À nous de pérenniser économiquement notre modèle », conclut-il. Outre la famille Barkans, quelques autres noms sont à retenir : Kuzums à Bauska, Miķelsons à Sesava, Lubanas Vinotava à Lubana, Zilver à Sigulda ou encore Ligatne Winery à Augsligatne. Membres de l’Association de viticulteurs et de producteurs de vins lettons, ces domaines ouvrent leurs portes aux visiteurs.

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