Les forces ukrainiennes sont entrées ce vendredi dans la ville de Kherson : la reprise de la ville aux mains des Russes depuis les premières semaines de la guerre était l’objectif principal de la contre-offensive lancée fin août dans le sud de l’Ukraine. La commune de Vyssokopillia, 4 000 habitants avant la guerre, n’a plus d’hôpital ni de médecins. Pendant l’occupation russe, deux infirmières ont assuré, seules les soins aux habitants. Portait de l’une d’entre elles.
De nos envoyés spéciaux dans la région de Kherson
Sa voix éraillée traduit les angoisses, la peur et la fatigue, vécues ces derniers mois : Nadiia Tsalinska, 62 ans, tente de mettre un peu d’ordre dans sa maison, touchée à deux reprises par des obus. Sous la treille où pendent des grappes de raisin noir, elle raconte ces six mois d’occupation russe, où les 286 habitants restés à Vyssokopillia ont connu les bombardements, le deuil, la faim.
Le 13 mars, les troupes russes sont entrées dans la petite commune. L’hôpital a fermé deux jours plus tard, endommagé par des obus. « Deux de nos employés, deux hommes, ont été tués et on les a enterrés dans le jardin de l’hôpital. Les gens ont commencé à quitter la ville », raconte Nadiia. Ses deux enfants et six petits-enfants partent à leur tour le 23 avril. « Des militaires russes, des Bouriates, cherchaient des jeunes filles. Or, j’ai deux petites filles de 18 et 20 ans. On a dû les cacher dans la maison. On a réussi à les faire partir alors qu’il faisait encore nuit », se souvient l’infirmière, la voix étouffée par l’émotion.
Soigner les patients sans eau ni électricité
Nadiia Tsalinska se retrouve seule avec un mari malade et une autre collègue, Svitlana Vlassenko, pour soigner les habitants restants. Son salon se transforme en service d’urgence. Un pied à perfusion et des dizaines de boites de médicaments sont encore entreposés dans la pièce, qui a été endommagée par un tir d’obus. « Juste avant le début de la guerre, j’avais reçu une importante commande de médicaments à l’hôpital. Heureusement qu’on a eu le temps de les transporter jusqu’à ma maison », raconte la sexagénaire. Le travail ne manque pas : « il fallait stopper les hémorragies. Il y avait aussi des problèmes gastriques, des problèmes de tension. On a fait tout ce qu’on a pu. Lorsqu’on a été à court de bandages, on a découpé des draps ».
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Ôter un éclat d’obus ou soigner une maladie chronique, Nadiia Tsalinska et Svitlana Vlassenko affirment avoir soigné plus de cent patients, sans électricité, sans gaz, sans eau courante. Il fallait aller puiser l’eau à plusieurs centaines de mètres de là, sous les bombardements. « Huit personnes sont mortes comme ça en allant chercher de l’eau », affirme une voisine. Mais le plus difficile, raconte Nadiia, c’était la cohabitation avec les Russes qui la soupçonnaient de soigner des militaires ukrainiens. « Ils nous disaient : si un soldat ukrainien ou un inconnu vient vous voir, vous devez nous le dire. Ils voulaient qu’on les dénonce. Ils ont commencé à nous mettre la pression quand ils ont attrapé l’un de nos soldats,raconte l’infirmière. Il avait une blessure au visage et il avait été recousu. On a eu alors la visite d’un commandant, un dénommé « Kaspij ». Il a commencé à nous harceler en nous accusant d’avoir apporté de l’aide à un combattant ukrainien. Ils pensaient qu’on l’avait recousu, mais ça n’était pas le cas ».
« C’était comme dans un film d’horreur »
Tous les jours, les infirmières reçoivent la visite de militaires russes, qui exigent un compte rendu détaillé de leur activité. Elles n’ont pas le droit de quitter la maison, un drone survole régulièrement la cour. « Ensuite, ils ont mis leur artillerie juste là, au croisement des deux rues, en nous disant : “C’est l’une de nos positions”. Ils se sont mis à tirer. Et nous, on était juste là, dans la maison. On est restés dans un coin, on se tenait la main, on avait peur », se souvient Nadiia.
Les bombardements font des blessés et des morts, qu’il faut enterrer. « C’était comme dans un film d’horreur », dit l’infirmière, en racontant comment des hommes du village transportaient les corps des défunts dans une brouette, en courant, puis creusaient rapidement un trou pour les enterrer au plus vite et retourner se mettre à l’abri des bombardements.
Après trois mois sans approvisionnement en nourriture, Nadiia se résout à aller parler aux forces d’occupation. « On s’est mis à distribuer deux tasses de farine par-ci, une tasse de vermicelle par là. On a construit un four et on y cuisait du pain », raconte-t-elle.
Les hommes armés continuent à maintenir la pression sur les deux infirmières, alors que la santé du mari de Nadiia diabétique, se dégrade. Une gangrène à l’orteil finit par gagner toute la jambe, faute de soins adaptés. « Il aurait fallu qu’on aille le faire soigner, mais ils ne nous laissaient pas partir. Tout juin, juillet et août, ils nous surveillaient tellement qu’on ne pouvait aller nulle part ». L’époux de Nadiia finit par succomber à une thrombose. Lorsqu’elle raconte ses derniers instants, sa voix s’emballe, se casse et toute l’horreur de l’instant se lit dans ses yeux : « il est mort le 22 août. Ce jour-là, on a subi un bombardement massif. Vous imaginez comme c’est effrayant : ça explose de partout et à ce moment, mon mari est en train de mourir ».
Comme pour essayer d’effacer toute trace de ce passé si proche et si douloureux, Nadiia, aidée de voisines, colle des papiers peints dans une chambre : cette nouvelle pièce servira à accueillir les patients en attendant que les médecins, dont les maisons ont été détruites, puissent reprendre du service.
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