Vladimir Poutine s’est-il finalement résolu à sacrifier sa créature ? Evgueni Prigojine, à la fois symptôme et avatar des dérives mafieuses de l’oligarchie russe, trublion médiatique et ordurier, a-t-il payé pour son arrogance et, surtout, après voir ridiculisé les élites, remis en cause l’institution militaire et sa propagande en Ukraine, a-t-il franchi la ligne rouge : s’en prendre, même indirectement, au chef, le maître du Kremlin ?
« Bien sûr que nous finirons en enfer », avait prophétisé l’ancien voyou et chef de Wagner avant de conclure : « Mais je sais qu’aussi en enfer, nous serons les patrons… » Justement, Prigojine incarnait parfaitement l’« ADN Wagner » : alliage inédit de mercenariat d’État, de dissimulation, de mystères, mais aussi et surtout d’extrême violence, d’impunité et de prédation sans oublier l’une de ses marques de fabrique : la guerre informationnelle ou comment, bien avant les autres, il a su, à peu de frais, propager un discours favorable à la Russie et hostile à ses cibles, dont la France en Afrique de l’Ouest.
Bras armé de l’influence russe, Prigojine s’est sans doute cru électron libre dans un monde conçu et défini par Vladimir Poutine. Si la chute du patron de Wagner a aussi valeur d’avertissement dans les cercles poutiniens, le modèle russe de la société militaire privée est désormais patenté. Wagner ou pas Wagner, peu importe, vu de Moscou, le logiciel paramilitaire est prêt à la mise à jour et à se pérenniser.
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Le groupe Wagner, bien que le plus puissant et le plus connu, est loin d’être la seule milice russe
Si grâce à Wagner, le pouvoir russe s’est durablement ancré dans une nébuleuse internationale allant de la Syrie au Soudan, de la Libye à la Centrafrique, au Venezuela et au Sahel, le groupe d’Evgueni Prigojine et de Dimitri Outkine, l’autre dirigeant tué lui aussi dans le crash, a surtout ouvert la voie. L’audacieux coup de force du 24 juin dernier contre Moscou qui aura valu à Prigojine d’être qualifié de « traître » à la télévision nationale par son mentor avait, sans nul doute, déjà laissé envisager que les cartes seraient rebattues. Wagner avec un autre patron, changement de nom ou un remplacement pur et simple ?
Il faut dire que le président russe avait, depuis longtemps, pris les devants en incitant ses proches à créer leurs propres groupes paramilitaires. Plusieurs dizaines de milices ont ainsi été fondées, ces dernières années, telles que « Enot », « Patriot » ou « Convoy », appartenant à des personnalités aussi variées que le patron du géant Gasprom ou de Sergueï Choïgou, ministre de la Défense et bête noire de Prigojine.
Ce système d’influence très audacieux conçu par le Kremlin est-il imparable voire infaillible ?
La fin tragique, avérée ou non, dans le ciel russe, des chefs de Wagner, aura aussi mis en lumière l’extrême fragilité d’un pouvoir à Moscou qui, même s’il reste implacable, semble poursuivre sa fuite en avant brutale et paranoïaque qui l’isole chaque jour davantage.
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Le recours à outrance de ces fameuses, « SMP », sociétés militaires privées, officiellement interdites par la Constitution russe, incarne la face sombre, de plus en plus prépondérante, du règne de Vladimir Poutine. S’il s’est largement vanté de ses succès à l’étranger, dans ses missions de combat ou de formation militaire, le chef de Wagner s’est aussi parfois trompé, comme au Mozambique ou sur le front de Bakhmout. Quant à son modèle financier – sécurité contre argent – rien ne prouve aujourd’hui qu’il soit si profitable et n’ait pu survivre sans l’aide secrète du Kremlin.
L’élimination d’Evguzni Prigojine est donc une solution à très court terme pour le pouvoir russe et l’avenir de la stratégie d’influence reste, quoi qu’il en soit, incertain.
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