Stephan Steinlein pourrait être aujourd’hui pasteur protestant ou théologien quelque part en Allemagne. Il est depuis début août le nouvel ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne à Paris. Le diplomate fait partie, comme une Angela Merkel, de ces Allemands de l’Est pour lesquels la chute du mur et la réunification ont signifié un bouleversement complet de leur destin.
Les premières et dernières élections libres se tiennent en République démocratique allemande (RDA) en mars 1990. Un nouveau gouvernement se met en place après des décennies de dictature communiste. Le changement concerne aussi les postes de responsabilité comme les ambassades à l’étranger, surtout auprès de partenaires stratégiques de l’Allemagne comme la France. Une connaissance de Stephan Steinlein, qui faisait avec lui des études de théologie, est devenue secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères à Berlin-Est. Il pense à son ancien camarade pour devenir ambassadeur à Paris.
« Je ne pouvais pas faire d’études universitaires en RDA car mon père était un pasteur protestant dans l’opposition au régime communiste, explique Stephan Steinlein. J’ai refusé de faire mon service militaire ce qui constituait une raison supplémentaire pour me refuser l’accès à l’université. Seules des études de théologie restaient envisageables. »
Le jeune homme rejoint le « Sprachenkonvikt », un centre de formation de l’Église évangélique à Berlin-Est, devenu dans les années 1980 un lieu où une vie intellectuelle critique restait possible au sein de la dictature communiste. De nombreuses personnalités passées par cette institution feront ensuite une carrière politique plus ou moins longue après la chute du mur. « Ce lieu est devenu le berceau de la révolution pacifique qui aura raison du régime en 1989 », se souvient Stephan Steinlein.
D’ailleurs, dans la bibliothèque de son bel appartement berlinois où les cartons s’empilent déjà avant son déménagement pour Paris, on trouve de nombreux ouvrages de théologie qui l’ont marqué comme celui d’un père de l’Église du troisième siècle, Origène, sur lequel Stephan Steinlein écrira une thèse de doctorat. C’est aussi pour ces travaux que son professeur lui recommande d’apprendre le français que Stephan Steinlein découvre à 24 ans.
« La France était pour moi un pays inaccessible »
Lorsqu’il se voit remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur début 2022, le nouvel ambassadeur allemand raconte : « Il y a des gens qui, dès leur plus jeune âge, se sentent attirés par la France et qui font tout pour apprendre le français. Je n’en fais pas partie. La France était pour moi, dans la première partie de ma vie, un pays inaccessible, hors de portée. Par conséquent, je ne peux pas raconter d’histoires drôles et pleines de vie sur mes voyages en 2CV en France comme notre président Frank-Walter Steinmeier sait si bien le faire. Dans ma jeunesse, la 2CV et la Côte d’Azur, c’étaient les bonnes sœurs des films de Louis de Funès, films qui sortaient, l’un après l’autre, chaque été en RDA et qui ont forgé l’image de la France de toute ma génération. » Le jeune Est-Allemand Stephan Steinlein ne peut à cette époque-là découvrir que les pays du bloc socialiste. Le lycéen qui ne parle pas encore français n’a qu’un livre dans ses bagages, L’homme révolté d’Albert Camus.
En 1989, Stephan Steinlein est ordonné pasteur. Pour préparer son doctorat, il obtient une bourse du conseil œcuménique et, privilège rare dans un pays aux frontières fermées, il débute un DEA à Strasbourg en août 1989, trois mois avant la chute du mur de Berlin. C’est en France donc que l’étudiant apprend la nouvelle historique. Si le jeune homme est loin de Berlin, il peut en revanche suivre de plus près les réactions en France : « On savait que Mitterrand avait des hésitations et peut-être, au-delà, une partie de la classe politique française. Mais très vite, ils se sont rendu compte que la réunification était inévitable. »
C’est aussi durant son séjour en Alsace que Stephan Steinlein fait la connaissance de sa future épouse, Françoise. L’enseignante, agrégée d’allemand, invite l’étudiant dans son établissement pour parler de la situation en RDA.
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Ambassadeur à Paris pendant six semaines
Après les premières élections libres en Allemagne de l’Est, en mars 1990, Stephan Steinlein rentre à Berlin avant donc qu’on lui propose le poste d’ambassadeur de la RDA en France : « On pensait à l’époque que le processus qui devait mener à la réunification allemande durerait plus longtemps, peut-être deux ou trois ans. Mais les événements se sont précipités. » Contrairement à d’autres personnes issues de l’opposition est-allemande, Stephan Steinlein ne croit pas à une troisième voie pour la RDA, entre le capitalisme de l’Ouest et le socialisme réel : « Pour moi, c’était clair que mon pays était économiquement au bout du rouleau. La seule chance de maintenir une certaine stabilité était une réunification rapide. »
La mission de Stephan Steinlein à Paris sera de courte durée. L’ambassadeur restera seulement six semaines dans la capitale française et n’aura même pas le temps de présenter ses lettres de créance. Il s’efforce de contribuer à l’intégration des nouveaux Länder en train d’être créés, dans ce qui sera bientôt l’ex-RDA, dans les structures de coopération franco-allemande. Trente-trois ans plus tard, celui qui redevient ambassadeur à Paris veut s’engager pour dynamiser les relations entre ces régions et la France.
Le 3 octobre 1990, l’Allemagne célèbre sa réunification, moins d’un an après la chute du mur. Stephan Steinlein ne retourne pas à ses chères études mais s’engage dans la carrière diplomatique. Il fait partie de la première promotion formée par le ministère des Affaires étrangères après la réunification et qui comprend des Allemands de l’Est. Il est ensuite chargé de mission pour les pays d’Europe centrale et orientale, une zone qui lui tient à cœur. Ça n’est donc pas un hasard s’il travaille ensuite à l’ambassade d’Allemagne à Varsovie où il dirige le service de presse. « À partir de 1986, j’ai noué des contacts avec des Polonais mais aussi à l’Ouest pour réfléchir à une Europe au-delà de la division Est-Ouest. L’idée était aussi de montrer que la résistance contre le fascisme, mais aussi contre le communisme, constitue une des bases d’une Europe unifiée. »
Un fidèle de Frank-Walter Steinmeier
L’arrivée au pouvoir du gouvernement Schröder en 1998 marque une césure dans la carrière de Stephan Steinlein. Pendant plus de vingt ans, le diplomate change à plusieurs reprises de casquettes, toujours aux côtés du même homme, Frank-Walter Steinmeier, l’actuel président de la République fédérale. Ce dernier devient le chef de la chancellerie sous Gerhard Schröder et cherche un attaché de presse. Un journaliste lui souffle le nom de Stephan Steinlein, qui deviendra finalement son chef de cabinet. C’est le début d’un long parcours commun.
En 2005, Gerhard Schröder perd les élections. Le gouvernement entre sociaux-démocrates et verts démissionne. Une grande coalition lui succède entre la CDU et le SPD sous la direction d’Angela Merkel. Frank-Walter Steinmeier devient ministre des Affaires étrangères et conserve Stephan Steinlein comme directeur de cabinet. Leur duo se poursuit lorsque Steinmeier, dans l’opposition, devient en 2009 chef du groupe parlementaire social-démocrate au Bundestag.
Après cette parenthèse de quatre ans, une nouvelle alliance droite/gauche se met en place. Steinmeier fait son retour aux Affaires étrangères ; Stephan Steinlein devient secrétaire d’État. Lorsque l’actuel président de la République fédérale est élu la première fois au printemps 2017, Stephan Steinlein l’accompagne et dirige l’administration de la présidence. Après la réélection de Steinmeier début 2022, Stephan Steinlein avait renoué avec sa carrière de diplomate.
Grâce à ces diverses expériences à la chancellerie, au ministère des Affaires étrangères, au parlement et à la présidence de la république, Stephan Steinlein dispose d’un profil inhabituel pour un ambassadeur. Il a dû gérer de nombreux dossiers liés à la politique économique et sociale par exemple, inhabituels pour un diplomate. Autant d’étapes qui ont par ailleurs enrichi ses réseaux.
Relancer le « moteur franco-allemand »
C’est donc un excellent connaisseur de la France qui vient de prendre ses nouvelles fonctions en tant qu’ambassadeur d’Allemagne à Paris. Marié à une Française, père de trois enfants franco-allemands, Stephan Steinlein a passé la plupart de ses vacances depuis trente ans dans notre pays dont il parle parfaitement la langue. Cette fois, il réside au prestigieux Palais de Beauharnais, propriété de la Prusse puis de l’Allemagne depuis deux siècles.
Le diplomate s’installe alors que les relations franco-allemandes sont marquées par des tensions mais Stephan Steinlein se veut optimiste : « Les dirigeants dans mon pays savent que le partenariat avec la France est primordial et nécessaire. Il y a des profils différents dans nos deux pays mais on n’a toujours fini par s’entendre parce ce que si on veut avancer en Europe, il faut travailler d’abord avec Paris. Et il y a un réflexe franco-allemand qui est profondément enraciné dans nos structures politiques. »
Stephan Steinlein a déjà quelques idées pour relancer le « moteur franco-allemand » mais ne veut pas encore trop en dire. « Les relations entre les sociétés de nos pays n’ont pas d’équivalent. Il est important de montrer que les échanges sont fructueux et que nous pouvons apprendre les uns des autres. Il faut faire plus sur les dossiers du futur comme la recherche, l’innovation car nos deux sociétés entretiennent une certaine peur de l’avenir. Il faut surmonter ensemble ce déclinisme. »
Stephan Steinlein disposera de plus de temps pour réaliser ses dessins. Il apprécie visiblement les retombées médiatiques que suscitent son profil hors du commun, avec un brin d’ironie : « Je suis sans doute un cas unique dans l’histoire diplomatique, en tout cas entre nos deux pays. J’espère que cette fois ci, je vais rester plus longtemps en poste, pas seulement six semaines. Et j’espère aussi que le pays que je représente aujourd’hui continuera d’exister après mon départ ».
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